La prostitution et les personnes prostituées ont de tout temps été stigmatisées. La sexualité tarifée a, de fait, toujours été perçue comme une transgression aux rapports sexuels jugés légitimes .La dimension scandaleuse de la prostitution provient également de son rapport particulier au travail : il s’agit d’une activité économique qui tend à échapper au contrôle de l’État . Cet article propose dans un premier temps les arguments à l’origine du débat sur la prostitution, discutant les différentes positions et leur récurrence dans le temps, pour traiter ensuite de la régulation de la sexualité vénale au travers d’une perspective historique.
La prostitution et ses causes
Qu’est-ce que la prostitution, quelles sont ses causes ? Bien qu’elles aient beaucoup varié à travers le temps, les définitions de la prostitution tournent de nos jours autour de deux grands pôles. Selon les uns, la prostitution constitue un métier comme un autre, une activité génératrice de revenus qui peut être librement choisie. Ainsi, Shannon Bell la définit comme « une forme quelconque d’interaction sexuelle en échange d’une forme quelconque de paiement ». Cette définition est partagée par la représentante du gouvernement allemand, Schewe-Gerigk, qui affirme qu’elle « veut donner à la prostitution le statut de travail comme un autre». Jo Bindman et Jo Doezema, représentantes de Network of Sex Work Projects et de Anti-Slavery International, proposent une définition similaire : le travail du sexe consiste à « négocier et offrir des services sexuels contre rémunération, avec ou sans l’intervention d’une tierce partie. Ces services sont publicisés et reconnus comme étant disponibles à certains endroits. Les prix des services s’ajustent en fonction du jeu de l’offre et de la demande.
Pour les autres, en revanche, la prostitution constitue la forme ultime de violence à l’égard des femmes et forme un système d’exploitation à la fois économique et social. Ainsi, pour Kathleen Barry, « quoique souvent présentée comme une libération sexuelle, la prostitution doit s’adapter aux attentes des consommateurs et constitue un acte sexuel réactionnaire et répressif». Claudine Le gardinier complète cette définition en ajoutant que « marquée par l’argent et les rapports de pouvoir, particulièrement entre hommes et femmes, c’est un puzzle [la prostitution] où s’enchevêtrent les malaises sociaux. Lieu de récupération, à des fins financières, de souffrances tues, d’échecs et d’inégalités de tous ordres, elle est devenue un gigantesque système organisé, une industrie internationale d’exploitation de femmes, d’hommes et d’enfants. » Marie-Victoire Louis, quant à elle, propose une définition plus globale : « Le système prostitutionnel est un système de domination sur les sexes, les corps et donc sur les êtres humains. Ce système met en relation des “clients” à qui des proxénètes (qui sont des personnes physiques et morales) garantissent, contre rémunération, la possibilité d’un accès marchand aux corps et aux sexes d’autres personnes, de sexe féminin dans l’immense majorité des cas.
Clients, proxénètes et prostituées
Traditionnellement, l’analyse de la prostitution s’est attachée aux prostituées et s’est souvent limitée à leurs comportements, leur passé sexuel, leur état de santé mentale et physique. Or, il apparaît de plus en plus qu’une telle approche est incomplète. Comment une femme pourrait-elle se prostituer sans un client et, bien souvent, sans un proxénète ? Il importe donc de dépasser la simple étude de l’individu qu’est la prostituée pour adopter une perspective d’analyse sociale globale qui prenne en compte aussi bien les facteurs socioéconomiques qui agissent sur la prostituée que les deux autres acteurs de la triade prostitutionnelle que sont le client et le proxénète.
Le client
Qu’en est-il du client de la prostitution ?
Ce personnage demeure le grand inconnu du système prostitutionnel. Généralement, la science s’y est intéressée dans une perspective sociosanitaire en lien avec les risques qu’il court de contracter des maladies. D’ailleurs, à travers l’histoire, les divers contrôles sanitaires imposés aux prostituées visaient d’abord et avant tout la protection du client.
Une des grandes caractéristiques des personnes qui utilisent les services de la prostitution est qu’elles sont de sexe masculin – selon les estimations entre 96 % et 99 %. Bien que l’impression première soit que la prostitution est une affaire de femmes, on a établi, d’après des estimations prudentes, que chaque prostituée de rue de Montréal rencontre en moyenne vingt clients par semaine : la représentation masculine est nettement supérieure à celle des femmes.
Pour expliquer leurs recours à la prostitution, les clients, qui sont majoritairement des hommes mariés, invoquent la solitude, des problèmes d’ordre sexuel, le désir d’obtenir des actes sexuels refusés par la conjointe et le souhait d’avoir une relation sexuelle brève et sans complication. Les clients n’ont pas à se soucier du bien-être de la prostituée ou de contraception : le fait de payer pour une relation sexuelle les décharge de cette responsabilité et leur procure une certaine forme de pouvoir dans les choix qu’ils exercent.
Le proxénète
Autre intervenant de la triade prostitutionnelle : le proxénète. Dans son analyse des diverses politiques criminelles relatives à la prostitution, Lucile Ouvrard regroupe les proxénètes en deux catégories : le proxénétisme de contrainte et le proxénétisme de soutien. Le premier « consiste à favoriser la prostitution d’autrui ou à en tirer profit, dès lors que cette activité agit sur le consentement des personnes, que ce soit pour l’annihiler ou pour l’altérer ». Ce type de proxénètes a recours à la violence physique, à l’intimidation, aux ruses et aux pressions de toutes sortes pour forcer une personne à se prostituer ou à continuer de se prostituer. Le second type de proxénétisme désigne l’attitude de celui qui « se contente d’aider, de protéger ou de profiter de la prostitution d’autrui, sans exercer ni pression ni violence sur la personne prostituée et sans en organiser l’exploitation. Ce soutien, direct ou indirect, peut, par exemple, permettre aux clients et aux prostituées de se rencontrer en leur fournissant un lieu de rencontre ou en les mettant en contact. En échange, la prostituée verse une certaine somme d’argent au proxénète. Généralement, le premier type de proxénétisme est interdit par les différentes législations nationales alors que le proxénétisme de soutien fait l’objet de législations plus ou moins tolérantes.
La définition de proxénète ne s’applique pas qu’à des individus ou des groupes. Elle peut aussi concerner les États qui tirent des profits de la prostitution. L’étude de l’Organisation internationale et Nationale du travail citée plus haut a démontré que les activités commerciales liées aux services sexuels constituaient des revenus nationaux importants : de 2 % à 14 % du revenu national de quatre pays d’Asie du Sud-Est. La France, quant à elle, prélève des impôts sur les revenus des prostituées, mais également sur ceux des proxénètes dont les activités, par ailleurs, sont considérées comme illégales. De plus, dans les pays qui ont légalisé la prostitution, l’État recueille taxes et impôts sur les activités commerciales liées à la prostitution.
De façon générale, nous entendons plutôt par « proxénète » un individu qui encadre une ou des prostituées. Il est évidemment impossible de quantifier de façon précise le pourcentage de prostituées qui ont un proxénète. Toutefois, certaines organisations spécialisées dans les questions de la prostitution indiquent que de 80 % à 95 % de toutes les formes de prostitution sont contrôlées par un proxénète. Shaver, qui s’est intéressée à la situation canadienne, indique que, en 1984, 62 % des prostituées de Vancouver et 50 % de celles de Toronto affirmaient travailler pour elles-mêmes. Toutefois, seulement 25 % des prostituées des Maritimes et à peine quelques femmes autochtones des Prairies canadiennes travaillaient sans remettre une partie de leurs gains à un proxénète.
Les personnes prostituées
Premier constat : autant les clients sont presque exclusivement des hommes, autant la prostitution est, très majoritairement, le fait des femmes. On estime que, de façon générale, les femmes représentent autour de 80 % à 90 % des personnes qui se prostituent. Toutefois, des observateurs disent constater une légère tendance à la hausse de la prostitution masculine dans certains pays où l’homosexualité est maintenant davantage tolérée et dans certaines régions du monde où le tourisme sexuel auprès de jeunes garçons se développe. Il n’en demeure pas moins que la très vaste majorité des personnes qui se prostituent, à travers le monde, sont des femmes et des filles.
Combien sont-elles ? Il est strictement impossible de répondre à cette question. La prostitution s’exerce souvent dans un contexte d’illégalité et de clandestinité qui empêche de tracer un portrait clair. De plus, même dans les pays où la prostitution est légalisée, plusieurs femmes continuent de se prostituer en dehors du cadre légal devant l’impossibilité de se conformer aux exigences prescrites par la loi. La grande variété de formes que prend aujourd’hui la prostitution complique davantage la tentative de quantifier un tel phénomène.
L’encadrement législatif de la prostitution
L’encadrement législatif de la prostitution constitue un objet de controverse important. Doit-on la prohiber ou la réglementer ? À travers les époques, les civilisations, les cultures et les religions, des réponses différentes ont été apportées à cette question. Ouvrard a la conclusion suivante : c’est le positionnement des États « par rapport au corps humain et aux prérogatives de l’individu sur celui-ci » qui dicte le choix des politiques criminelles en matière de prostitution. Elle poursuit plus loin : « Il s’agit de savoir si la protection des êtres humains s’étend aux actes que l’individu accomplit avec et sur son propre corps.
Le néo-abolitionnisme
Depuis la fin des années 1990, une nouvelle tendance législative commence à se développer au niveau international. Il s’agit de ce qu’on appelle
NÉO-ABOLITIONNISME.
Les tenants de cette perspective défendent le principe de liberté de disposer de son corps mais dans le respect de la dignité humaine. Pour eux, cette dignité constitue une composante de l’humanité qui est plus fondamentale que la liberté de commerce ou de travail : le corps humain ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise qui s’achète ou se loue. Il ne peut être objet de commerce. Or, dans une relation prostitutionnelle, le corps humain constitue une marchandise et devient un objet de commerce, ce qui est inacceptable. Cette position rejette toute distinction entre
LA LÉGALISATION
La doctrine de la légalisation est fondée sur la
que la prostitution est un mal nécessaire. Elle joue un rôle social indispensable en protégeant les femmes et les filles contre les agressions sexuelles qu’elles pourraient subir de la part des hommes dont les désirs sexuels ne seraient pas satisfaits. La prostitution joue donc un rôle dans la régulation sociale des rapports sexuels qu’il faut reconnaître.
Cette perspective est présentée comme la consécration du principe de la liberté de disposer de son corps. En fait, l’essentiel de l’argumentation repose sur la distinction entre la prostitution forcée et la prostitution volontaire. Dans un contexte de légalisation, une prostituée n’est ni déviante, ni délinquante, ni victime, mais une travailleuse du sexe. L’argumentation établit un parallèle avec le travail ouvrier : lui comme elle ne loue pas son corps mais ses services.